Elles ont navigué à travers la foule toutes les deux, main dans la main. Elle, qui va de stand en stand, s’arrête, regarde les livres, les retourne, de sa seule main libre. Et qui parfois discute avec un auteur.
– Tiens-moi la main, insiste-t-elle en même temps, accentuant la pression, cherchant une meilleure prise, ne laissant guère le choix.
A l’autre bout de l’entrelas de doigts, c’est un grand enfant qui, nez en l’air, ne s’intéresse pas aux mêmes choses. Le regard cherche, qui la plante verte qui orne telle ou telle marche du petit escalier prolongeant le petit labyrinthe, qui le joli dessin sur la couverture du livre pour enfant, qui le monsieur parlant fort dans un micro, un peu plus loin en haut des marches, qui ces flashs d’appareil photos dont elle ignore le sujet mais qui piquent sa curiosité.
Et dès que la pression un peu s’atténue, dès que l’emprise se libère, ou même lorsque simplement celle qui l’accompagne reste trop longtemps au même endroit, elle tire, cherche à s’extraire des menottes de chair, et à partir à l’aventure, dans ce lieu inconnu, aux portes si proches sur un dehors baigné de soleil, à la manière d’un enfant qui sait à peine marcher mais part néanmoins à la découverte du monde, d’un pas mal assuré.
– Tiens-moi la main, répète-t-elle encore, rattrapant in extremis l’évadée, avant qu’elle n’aille à la poursuite du soleil, à la manière de l’enfant sur une plage au plein cœur de l’été. Et sagement elle s’agrippe de nouveau, consent à une relative immobilité, quelques secondes seulement, avant de nouveau de voyager du regard, avant que ses pas ne la poussent à nouveau à s’éloigner.
Chez celle des deux qui veille sur l’autre, l’inquiétude domine, la prévenance, la sollicitude. Vis-à-vis de celle qui, pourtant son aînée, s’enfonce dans l’interminable crépuscule de sa vie. Vis-à-vis de celle qui l’a portée, qui l’a éduquée, qui l’a accompagné avant même son premier souffle, et qui pourtant par moment lui demande :
– Qui êtes-vous ?
Dans le regard de celle qui veille avec anxiété sur l’autre, il y a ces lueurs de tristesse, ces lueurs de compassion, d’abattement, de résolution à la fatalité.
– Maman, c’est moi. Tiens-moi la main. Je te ramène bientôt.

[pullquote align= »right » textalign= »left » width= »60% »]Crédits photo : Hands, par Roberto Trm[/pullquote]


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