J’ai donc terminé La supplication, chronique du monde après l’apocalypse, de Svetlana Alexievitch… Dans mon précédent billet, Un puzzle infernal, je sentais qu’il me manquait quelque chose, une intuition, une clé de voûte pour y voir plus clair dans le roman que j’entends écrire dans les prochains mois.

La lecture est troublante. Ici, que des témoignages de personnes qui, 10 ans après, racontent Tchernobyl tel qu’ils l’ont vécu, avant, pendant, après. Le récit déchirant de personnes qui assistent, depuis leur balcon, à la catastrophe, à quelques centaines de mètres, quelques kilomètres d’eux. De personnes qui, du jour au lendemain, sont arrachées à leur terre, à leur village, à tout leur passé, pour être déplacées plus loin, accueillies comme des parias. Et de ceux qui restent là, dans ce chez eux qui ne leur appartient plus.

De ces hommes qui, montés au front de la lutte contre le péril nucléaire, avec la foi dans leur force, dans le système, dans le sens de leur sacrifice, accompliront chaque jour une tâche titanesque et pourtant dérisoire. Ils reviennent des mois après, simplement pour mourir chez eux, parfois rejetés des leurs. Parfois aimés jusqu’au bout, en dépit du danger qu’ils représentent. De ces femmes qui ont peur d’aimer, peur d’avoir des enfants…

Les enfants, justement… C’est un des derniers témoignages du livre. Un des plus bouleversants sans doute. Et c’est peut-être ici qu’est la clé. Dans mon projet, Trois cœurs en fusion, il y avait bien un enfant. Mais c’était un figurant, un personnage à peine secondaire, un prétexte aux questionnements d’adulte. La fiction, le récit, n’aurait-il pas plus de force, plus d’intensité, s’il devenait personnage à part entière. Si, de sa position d’observateur privilégié, avec son innocence et sa naïveté, avec peut-être aussi l’absence de tabou qui fait sa force de son propos, il constituait le ciment entre les autres personnages, entre les générations, le confluent de toutes les préoccupations ? L’intuition que j’attendais était peut-être dans la lecture de ces quelques pages…

L’écrivain a-t-il besoin d’être légitime ?

Grande question… Que je me pose, évidemment. J’ai besoin d’écrire sur un sujet que je considère comme universel. Sur un pays et une culture que je ne connais qu’à travers les livres, les films, les médias. Un pays sur le sol duquel je n’ai jamais mis les pieds. Ai-je le droit d’écrire sur un tel sujet, depuis ma position  ? Ne devrais-je pas plutôt opter pour la fable, le conte, plus que pour une fiction dans un environnement réel ? Un jour, si le livre paraît, que le texte soit bon ou non, j’entendrais sans doute des voix pour me reprocher mes choix. Peu importe, il est déjà trop tard. A ce stade, je ne vois pas ce qui pourrait me faire changer d’avis. Le processus est irréversible.

Comment décrire le phénomène ? Le 11 mars 2011 et les jours qui ont suivi, les événements ont eu en moi une résonance qui dépasse de beaucoup la réalité de mon implication dans cette tragédie. Comme si, brutalement, en moi, des savoirs, des souvenirs, et des émotions, se réunissaient en un seul point, un seul bloc, d’une densité exceptionnelle (les astrophysiciens appelleraient cela un big crunch). Et, dans la foulée en quelques jours, l’imagination qui s’empare de ce maëlstrom, puis le big bang… L’idée du roman est en expansion, bien plus vite que je ne peux l’explorer.

L’exploration… J’ai désormais des pistes claires. Les questions que je me pose, les sujets sur lesquels j’ai besoin de précisions, il va bientôt falloir que je les pose. Trouver des contacts, les dénicher. Sources officielles, et moins officielles. Japonais francophones, expatriés français au Japon qui ont vécu là-bas ces moments tragiques, ou ce qu’il s’y passe depuis… Préparer mes questions, préparer les entretiens… Parfaire ma connaissance de ces personnages que j’entends créer comme un acteur rentrerait dans un rôle pourtant diamétralement opposé de son identité et de son caractère.

Au salon du livre de Cosne-sur-Loire, le 26 mai prochain, outre les dédicaces de mon premier roman, j’espère pouvoir échanger quelques mots avec Ryoko Sekigushi (auteur de Ce n’est pas un hasard : Chronique japonaise chez P.O.L.)…

De la matière, peut-être, pour un prochain billet…


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