Sur une grande et belle plage bordée d’immenses falaises vivait au milieu de millions de ses semblables un tout petit grain de sable. Il s’était détaché de la falaise, il y a très très longtemps. Au fil des années, il s’était rapproché du bord de l’océan, tout en devenant de plus en plus petit.

Qu’il était heureux, à aider chaque jour avec tous ses copains les petits enfants qui venaient à la plage. Ensemble, ils construisaient des châteaux de sable toujours plus grands et toujours plus beaux, jouaient à cache-cache avec leurs orteils quand les enfants s’enterraient les pieds. Avec les adultes, ils se contentaient souvent d’être de discrets et confortables matelas sous leurs serviettes de plage, ou de participer à leurs jeux, football et volley-ball. Eux aussi, les petits grains de sable, faisaient des équipes, et comme tous les humains criaient très fort ils n’entendaient jamais les petits grains de sable se réjouir, s’encourager, ou fulminer en cas de but encaissé ou de point perdu.

Et c’était ainsi tout le jour, de l’aube au crépuscule, dès que le soleil brillait pour réchauffer les petits grains de sable. Les jours de grand vent, ils devenaient les lignes qui donnaient vainqueur tel ou tel char à voile, ou bien aidaient les pilotes à bien maîtriser leur cerf-volant. Qu’il était heureux, notre petit grain de sable, sur cette si belle plage !

Il aurait été encore plus heureux s’il n’y avait pas eu de plus en plus proches ces gouttes d’eau salée, qui revenaient à chaque marée, toujours plus près du petit grain de sable. Car les gouttes d’eau étaient turbulentes : elles n’avaient pas les mêmes jeux que les grains de sable, elles semblaient rarement contentes d’être les unes avec les autres. Il les écoutait souvent crier depuis la plage :

– Regardez ! Regardez ! C’est moi la plus brillante ! ». La goutte d’eau oubliait simplement qu’elle ne brillait que grâce au soleil qui la baignait de lumière : aucun des grains de sable n’était dupe.

– Regardez ! Regardez ! C’est moi qui suis la plus haute ! ». Car être la plus haute au sommet de chaque vague était un de leurs jeux préférés, avec celui d’avancer le plus loin sur la plage, lorsque la vague s’écrasait et s’étalait par-dessus les petits grains de sable.

À les voir faire ainsi à chaque marée, sous les rayons du Soleil ou sous ceux de la Lune, ils se demandaient bien si les gouttes d’eau jouaient vraiment ou si elles étaient en compétition permanente. Car les gouttes d’eau salée ne semblaient pas savoir ce qu’était l’amitié, la vraie, celle que partageait les grains de sable. Elles s’avéraient souvent mauvaises perdantes si bien que, quand elles s’étaient toutes fâchées les unes avec les autres, elles passaient leur colère en attaquant la plage, tous ces petits grains de sable qui ne leur avaient rien fait. Elles s’en prenaient même aux grandes falaises, si fort et avec tant de violence qu’elles en faisaient parfois tomber de nouveaux morceaux.

Et c’est ainsi qu’un jour de très grande marée, notre petit grain de sable se retrouva très près du bord de l’eau. Les gouttes d’eau salée s’adressèrent alors à lui d’un ton plus menaçant encore que le grondement des vagues en pleine tempête :

– Toi, petit grain de sable, si tu ne veux pas finir au fond de l’océan, loin de la lumière de la Lune et du Soleil, loin des enfants et de leurs jeux, si tu ne veux pas devenir tout gris et tout triste, jusqu’à la fin de ta vie, nous te donnons la chance inestimable de devenir une goutte d’eau. Comme nous. Tu as jusqu’à la prochaine grande marée pour accepter notre proposition !

Thanks everyone, par Neal FowlerEn quelques heures, toute la plage fut au courant de la proposition, les autres petits grains de sable chuchotaient au passage de notre ami. Certains venaient à lui pour le convaincre de rester, de ne pas les abandonner : tous ensemble ou tout seul, ce n’était pas la même chose, lui disaient-ils.

– Nous avons plus besoin de toi que les vilaines gouttes d’eau ! lui affirmaient quelques autres.

Lui n’avait rien demandé, et ne savait vraiment plus quoi faire. Il entendait les rires et les cris de joie, il entendait le souffle paisible des dormeurs, il écoutait le chant du vent contre les parois des falaises. Qu’il aimait tout cela. Au sommet des vagues ou au fond de l’océan, il ne pourrait plus jamais en profiter.

Les jours passèrent, trop vite, trop lentement. Tourmenté, indécis, le petit grain de sable avait vraiment du mal à s’amuser, même si ses amis essayaient de l’y entraîner. Il ne restait plus que quelques heures avant la grande marée, et il n’arrivait toujours pas à savoir quelle était la bonne solution. Le bruit des vagues et de la colère des gouttes d’eau salée commençait à se faire entendre quand un autre grain de sable vint l’aborder.

– Tu n’as pas à craindre le fond de l’océan, lui dit-il.

C’était un vieux grain de sable qu’il n’avait jamais rencontré. Mais il en avait entendu parler si souvent qu’il savait à qui il avait affaire : c’était le plus vieux de la plage, le plus sage aussi. Il habitait à l’autre bout, près du parking et du grand escalier.

– Tu y es déjà allé ? demanda notre petit grain de sable.

– Et j’en suis revenu, comme tu le vois. Mais j’y suis resté suffisamment longtemps pour pouvoir t’apprendre deux ou trois choses utiles.

Ils restèrent ainsi à discuter pendant quelques heures, face aux gouttes qui se rapprochaient. Le vieux grain de sable lui décrivit la vie au fond de l’océan, et tout ce qu’il y avait à savoir pour y vivre bien, comment revenir à la plage quand l’occasion se présenterait.

Quand les premiers embruns tombèrent autour d’eux, le vieux grain de sable repartit vers l’autre bout de la plage en sautant dans une rafale de vent. Le petit grain de sable attendit l’océan avec le sourire, prêt à habiter tout au fond, avec les plus beaux poissons qu’il n’ait jamais vu, les plus belles algues et les jolis coraux, les trésors engloutis, et les gouttes d’eau reléguées elles aussi loin dans les profondeurs.

Mais surtout, il savait retrouver le chemin de la plage, quand il le voudrait. Quand ce jour arriverait, toutes les gouttes d’eau de l’océan réunies ne pourraient l’en empêcher.


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