Journal Entry, par Joel Montes

Il est de ces trajets que l’on pourrait faire toute la vie sans voir une scène de vie qui suscite une émotion particulière, qui donne naissance à une confusion, à l’indéfinissable. Nous passons ainsi à côté des essentiels.

Ainsi, parcourant une vaste courbe le pas pressé, il surgit là immobile, étranger à la colonne qui passait derrière son dos. Il se tenait droit, fixant ses yeux perçants sur une vitrine de librairie gardée d’une grille aux larges mailles. Je m’avance. Que fixe-t-il le petit garçon, avec son petit sac à dos ? Il semble contempler la grille, je ne suis, comme le reste de la rue, qu’une abstraction. Je m’approche. Le présentoir se tisse entre les mailles et avec lui la couverture des livres exposés. Le petit garçon ne bouge toujours pas. Je passe sans qu’il ne tremble, perdu qu’il est. Il lit les livres, à travers la vitrine, à travers les couvertures. Il se glisse entre les pages d’un regard pour échapper à l’univers gris des pierres polluées. Il a disparu du chemin de l’école pour se perdre dans un labyrinthe de mots. Il les dévore un par un, s’attarde dans un des paysages, relit un passage qui lui a plu. Il attend devant la librairie qui n’ouvrira pas, devant des livres qu’il sait qu’il ne peut pas s’offrir, devant des pages qu’il ne saurait peut-être pas lire. Pourtant l’envie est si forte qu’il va vers eux à travers les obstacles. Nous, nous allons tous les jours au bout du monde, étroit et éreintant, avec en ligne de mire cet avenir flamboyant. Lui vient créer le sien d’un regard hésitant et sans l’avoir vu passer, il est déjà devant.

Cet enfant n’est qu’un exemple mais il est plus que cela : il nous montre à quel point la vie est absurde et pourquoi l’immobilité est si supérieure au mouvement. L’homme marchant ne pense pas, ne rêve pas, ne s’échappe pas de lui-même comme peut le faire l’être immobile, pensif, rêveur, étranger. Nous rejoignons le commun des mortels quand lui s’en extrait. Combien sont-ils à l’avoir jamais égalé ?

Il est de ces mystères qui ne seront jamais révélés, ceux que l’intelligence humaine ne peut décrypter mais que l’homme possède en lui.

 

 

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Christopher Selac (c) 06/06/1996

Crédits photo : Journal Entry, par Joel Montes

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