Ravi d’accueillir aujourd’hui, pour les Vases communicants de juillet, un auteur découvert à l’occasion du dernier Salon du Livre de Châteauroux, Jean-Philippe Depotte, dont je vous recommande au passage son 4ème roman, Le Chemin des Dieux (Denoël). Jean-Philippe m’a fait le plaisir et l’honneur d’accepter cet échange, et c’est donc autour du thème « Un bouton pour… » que nous avons, chacun de notre côté, préparé un texte pour l’autre. Il accueille donc le mien sur son blog, et voici le sien :

Un bouton pour…

 

Un bouton pour faire le café. Un bouton pour démarrer la voiture. Un bouton pour lire mes mails, pour lire Flaubert, pour lire l’encyclopédie et la connaissance d’une bonne part de l’humanité. Un bouton de mon smartphone, au fond de ma poche, à mon bureau, sur un trottoir de Paris ou devant l’océan, sur une plage de Bretagne.

Le bouton actionne, ordonne ou bien il ouvre un accès. Le bouton, incontestablement, est le symbole du progrès. En réalité, le bouton est le moyen, simplifié à l’excès, de profiter du travail des autres, c’est un instrument de partage à l’échelle de toute une société.

Mais c’est plus encore…

Les informaticiens appellent cela « les niveaux d’abstraction. » Mais pas besoin de technique, René Descartes a très bien expliqué la chose, des siècles avant le silicone. Certaines tâches sont trop grandes pour l’effort d’un homme. Et, pire, trop grande pour l’esprit d’un homme. On peut croire le cerveau sans limite, mais bien sûr c’est faux. Comme le temps dont on dispose et qui rend certaines réalisations impossibles dans la durée d’une vie humaine. Alors les informaticiens ont inventé la « boîte noire. » Cela signifie qu’un ingénieur va s’attaquer à une petite partie seulement du problème. Une partie à son échelle. Il va y travailler, il va la résoudre et il va enfermer le fruit de son travail dans une « boite noire », comprenez : un programme informatique qui cache au monde le détail de sa réalisation. Les collègues de cet informaticien pourront ainsi utiliser la « boite » sans avoir à comprendre ce qui est à l’intérieur. Et ces boites deviendront les briques de constructions plus grandes. Et ainsi, de boite en boite, une communauté pourra construire un édifice dont aucun individu ne comprend toutes les ficelles. Mieux : en se basant sur des briques de bases, une personne peut élever son raisonnement au « niveau d’abstraction » supérieur. C’est exactement le discours de Descartes : quand un problème est trop important, je le découpe en petits problèmes que je traite un par un.

Voilà ce qui se produit quand, dans notre vie quotidienne, nous pressons un bouton. Et nous vivons ainsi à un meilleur « niveau d’abstraction » où nous profitons chaque jour du travail de générations.

Jusqu’au métier d’écrivain…

Car l’écrivain aussi presse des boutons à longueur de journée. Tiens, l’autre matin, je m’intéresse à l’exposition universelle de 1900. je presse un bouton et je visionne les films tournés par Edison dans les travées de la Grande Exposition. Remastérisés, image parfaite, un accès en moins de vingt secondes et le visionnage du document historique, comme ça, devant un café avant de passer à autre chose. Je m’achète le dernier Stephen King et hop, d’un clic, je passe en revue les différents documents à propos de l’assassinat de Kennedy, le résultat des enquêtes, des mois de travail en quelques secondes.

Quand je relis les notes de Zola pour l’écriture du Bonheur de dames, je comprends à quel point le travail d’un auteur est aujourd’hui plus facile. Nous avons la chance de travailler à un nouveau niveau d’abstraction. Nous n’avons plus d’excuse pour être médiocres.

Ainsi, l’auteur d’aujourd’hui, l’auteur « presse-bouton », ne doit pas se reposer sur le travail de ses prédécesseurs pour resservir la même soupe que jadis. Et il doit au contraire profiter de sa chance pour construire le nouveau niveau d’abstraction.

Gambatte ! (comme disent les Japonais)

 


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