Nous avions quartier libre, ce jour-là, quelques heures de liberté, loin de chez nous, avec tout un centre-ville comme terrain d’exploration et de jeu. Heidelberg était à nous, avec son château qui, depuis la hauteur, toisait la vieille ville et le Neckar.

Yann, Antoine et moi arpentions les petites rues, sous un franc soleil de printemps, fine petite équipe logée chez l’habitant tout au long de ce séjour linguistique. L’objectif de cette liberté était précis : l’un d’entre nous voulait un canif suisse, que l’argent de poche donné par ses parents à l’occasion du voyage, lui permettait d’acheter (les euros n’existaient pas encore, et les taux de change étaient favorables), sans avoir à demander la permission… Pas pour en faire une arme, non, plutôt pour faire comme Mac Gyver, le héros de série télévisée qui triomphait de l’adversité grâce à son ingéniosité et son fameux canif multifonctions. Les promesses d’aventure, une fois rentrés, seraient nombreuses pour celui qui le porterait.

 

Nous fîmes donc le tour des boutiques, pour choisir un modèle avec la bonne palette d’outils, et au meilleur prix, car nous savions tous les trois la valeur de l’argent. Trois adolescents, déterminés à faire de cette journée une belle journée, qui remarquaient à peine, en rigolant, ce mendiant assis à même le sol, dans une rue piétonne, lui et son pantalon sombre bariolé de tâches de craie, de réguliers points bleus, blancs, verts, rouges et bleus.

 

Nous nous amusions plutôt des policiers qui roulaient en BMW, quand leurs homologues français se contentaient de Renault… d’un Mac Donald’s implanté dans un vieil immeuble baroque à la façade rose, juste en face de l’église…

 

Puis nous repartîmes, d’échoppe en échoppe, toujours en quête… Une mission finalement menée à bien dans le temps qui nous restait imparti, avant de rejoindre le point de ralliement, ce chemin du retour où, justement, nous recroisâmes le mendiant au pantalon bariolé de craie. Devant nos yeux ébahis, il remonta dans sa Jaguar lie de vin.

 

De ce voyage, de cette journée, nous avions retenu au moins une leçon : les mendiants d’Allemagne roulaient en Jaguar, les policiers roulaient en BMW. Si l’identité de ces derniers ne faisait aucun doute, si les carrosses étaient bien ceux de leur propriétaire, l’homme au pantalon de craies n’était pas celui qu’il prétendait être, quelques heures plus tôt, sur le trottoir d’une rue du centre-ville, il se faisait passer pour un autre.

 

Comme nous qui rêvions d’être autre grâce à un simple canif, il rêvait d’être autre grâce à un simple pantalon, mais rattrapé presque trop vite par sa propre réalité, comme elle se rappellerait à nous à la fin du voyage.


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