Cet échange du mois de septembre 2013 a été réalisé à partir d’une idée d’Ana, écrire au même moment, mais sans communication sur les thèmes, sans partager au fur et à mesure nos textes. D’au moins six temps commun, 4 textes sont nés de mon côté. Un vase offert et publié le 6 septembre dans le jardin sauvage.

1er temps : La fille qui n’aimait pas les vacances

 

Parce qu’à chaque rentrée, la première rédaction consistait toujours à les raconter

Et parce qu’il n’y avait justement rien à raconter, rien d’heureux

Parce qu’elles commençaient toujours par l’abandon du chien sur une aire d’autoroute

Parce qu’il fallait suivre son père à la chasse aux papillons pendant des heures, et n’en être sauvée que par la pluie

Parce qu’elle retrouvait tous les ans sa cousine Angélique, une petite peste qui se prenait pour une princesse

Parce qu’à la mer elle se faisait chaque année piquer par les méduses, et toute la famille se moquait d’elle, à chaque fois

Parce qu’elle supportait mal le soleil, le pollen de pin et le chant des cigales qui l’empêchait de dormir

Ou parce qu’un jour son petit frère était tombé de vélo en jouant avec elle, et ne s’était jamais relevé

Parce qu’ici personne ne voulait être son amie

Parce qu’il fallait envoyer des cartes postales pour dire que tout allait bien, pour rendre les voisins jaloux, surtout à ceux que ses parents n’aimaient pas

Parce que Papy l’emmenait jouer seule à l’écart à des jeux qui ne lui plaisait pas, et dont il ne fallait parler à personne

Parce que toute façon on ne la croirait pas, que ce n’était pas bien de mentir, cela faisait du mal aux gens que l’on aime

Alors à chaque fois qu’elle tombe sur un dictionnaire, elle arrache une certaine page de la lettre V…

 

2ème temps : Tu n’as plus besoin d’être absent pour me manquer

Tu n’as plus besoin d’être absent pour me manquer : plus qu’une phrase, un point de départ, un point d’arrivée, un unique et même bout d’une myriade de pelotes de laine. Un temps charnière pour des milliers d’histoires à raconter.

Quelques mots suffisent à déclencher l’émotion, à suggérer… Et tu imagines avec moi tout ce que derrière une phrase se cache de vie, de souffrances. Présent mais différent d’une image, d’un souvenir, d’un passé, l’empreinte gravée au cœur ne correspond plus à la clé qui devant ses yeux évolue. L’idéal est resté en mémoire, la réalité constamment se transforme.

Un aveu. De désespoir. D’abattement. De honte. Une part de culpabilité. Et si tout commençait par là. Non pas devenir étranger l’un à l’autre, mais trop familier l’un à l’autre. L’association de la présence et du manque. Combien de temps vivre avec tant d’amertume ?

Ou un malade, un lit d’hôpital, un coma interminable. Jour après jour, visite après visite. Tu es là, je te parle, je te touche, je t’embrasse. Et tu me manques. Même au plus fort de nos éloignements, jamais je n’ai autant espéré ton retour. Sauf que désormais il n’est plus question de distance, mais d’intériorité, un au-delà que nul autre que toi ne peut franchir. Je ne peux compter que sur ma voix pour te guider sur le chemin de la sortie.

Prières… Absence ou présence, peu importe. Le divin n’en a cure, il n’y a rien de nécessaire. Est-il possible d’exister en étant ni l’un, ni l’autre, ou en étant les deux à la fois ? Tu n’as plus besoin d’être absent pour me manquer : ton portrait et tes cendres sont posés sur la cheminée.

 

3ème temps : Je pars pour un monde qui n’appartient qu’à moi

Je pars pour un monde qui n’appartient qu’à moi. Un glissement lent, inexorable. Tel le glacier qui descend la montagne, l’avale, l’enveloppe, la digère, s’instille dans chaque fissure, en ouvre de nouvelles. En permanence, imperceptiblement.

Je pars pour un monde qui n’appartient qu’à moi, et je pars seul, sans autre choix possible. Ni carte, ni guide, je ne saurai trouver les mots pour t’y conduire. Une seule porte que je franchis comme autant d’éclipses, trop fragile, trop étroite pour deux, et derrière elle tant de dangers à créer et à affronter.

Je pars pour un monde qui n’appartient qu’à moi, un monde qui se construit en marchant en son cœur. Un lieu où je choisis qui je croise et où, qui je contemple, quelle vie ils mènent. Leurs aspirations, leurs combats, leurs peurs. Un monde étrangement semblable, étrangement différent, où n’est impossible que ce qui se refuse à la pensée.

Je pars pour un monde qui n’appartient qu’à moi, existe à l’éveil et au rêve, se nourrit de toute matière, qui rayonne de ses propres lumières. Je pars pour un monde dont je ne reviens qu’après le point de chute, d’où je ne reviens que pour toi, que pour le partage, sans savoir si ce que je ramène correspond bien à ce que j’y allais chercher.

Je pars pour un monde qui n’appartient qu’à moi, et je sais ces temps difficiles, hasardeux, exigeants… Je pars pour un monde qui n’appartient qu’à moi, mais ce n’est plus la première fois : nous savons le vivre. Je pars pour un monde qui n’appartient qu’à moi, j’en reviendrai, j’en fais la promesse.

Je pars pour un monde qui n’appartient qu’à moi : attends…

 

4ème temps : Lettre à Ana

Nous avons donc écrit en même temps, fragment après fragment. Et même s’il fut difficile de s’accorder sur les plages (je ne vous remercierai jamais assez pour votre souplesse), l’aventure méritait d’être tentée. Même si sans doute, sans le savoir, nous aurions partagé les mêmes instants d’écriture…

Le fait de nous savoir face à l’écran, ou devant la feuille blanche, à la même seconde, pour la même cause, apporte-t-il aux textes qui en émergent un supplément d’âme ? Nous le saurons en découvrant, dans quelques heures, les textes que ces moments féconds auront engendré.

Avez-vous ressenti, comme moi, ce petit fantôme par-dessus votre épaule, bienveillant et curieux ? Avez-vous ressenti à quel point, en ces instants, même si nous ne communiquions pas, semblait s’atténuer ? Nous aurions pu être deux écoliers assis l’un à côté de l’autre, en pleine interrogation, qui répondent aux questions sans copier l’un sur l’autre. Aux mêmes questions, sans doute, ils auront – et devraient avoir – les mêmes réponses, même si chacun possède sa propre façon de l’exprimer.

De notre échange, mes mots n’auront pas réussi à refléter l’intensité et la richesse. Merci de ne pas en prendre un trop grand ombrage.

Amicalement,


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