Toutes les petites histoires vivent dans des bibliothèques, sur des étagères, au milieu de dizaines et de dizaines d’autres petites histoires. Et parmi elles, une petite histoire, qui vivait dans la bibliothèque municipale.
Toute la journée, des papas et des mamans venaient à la bibliothèque choisir des histoires à raconter le soir à leurs enfants pour les aider à s’endormir.
Et tous les jours, la petite histoire que personne ne voulait jamais raconter attendait qu’on l’emporte, et regardait ses amies les petites histoires s’en aller sous le bras d’un papa, d’une maman ou d’une mamie.
– Celle-là, je veux celle-là, disait Enzo en montrant la petite histoire que personne ne voulait jamais raconter.
– Oh non, répondait sa maman. Pas celle-là : elle est trop triste.
Et ils repartaient avec une autre histoire, moins triste, qui aiderait Enzo à s’endormir et à faire de beaux rêves.
– Celle-là, je veux celle-là, disait Chloé en montrant la petite histoire que personne ne voulait jamais raconter.
– Oh, non, répondait son papa. Pas celle-là : je l’ai déjà raconté mille fois à ton grand frère.
– Ca fait beaucoup, mille fois ? demanda Chloé.
– Oui, beaucoup beaucoup.Et le papa de Chloé repartait avec une autre histoire, qu’il n’avait pas déjà raconté mille fois à son grand frère.
– Celle-là, je veux celle-là, disait Léa en montrant la petite histoire que personne ne voulait jamais raconter.
– Oh non, répondait sa mamie. Pas celle-là : les dessins ne sont pas assez jolis.
Et Léa et sa mamie repartaient avec une autre histoire, qui avait des dessins plus jolis.
Les jours et les semaines passaient, les autres histoires de la bibliothèque allaient et revenaient tout le temps, sauf la petite histoire que personne ne voulait jamais raconter. Alors le soir, quand la bibliothèque fermait, cette petite histoire pleurait, seule sur son étagère.
Un soir, enfin, la gentille femme de ménage qui passait l’aspirateur dans les allées de bibliothèque entendit la petite histoire que personne ne voulait jamais raconter. Elle pleurait plus fort que d’habitude.
– Qu’y a-t-il ? demanda-t-elle. Pourquoi pleures-tu ?
– Personne ne veut jamais me raconter, sanglota la petite histoire. Je suis trop triste, mes dessins ne sont pas assez jolis, on m’a déjà raconté mille fois !
– Est-ce que c’est vrai ? demanda la gentille femme de ménage.
– Je n’en sais rien. Personne ne veut jamais me raconter, répéta la petite histoire.
La gentille femme de ménage réfléchit un instant.
– Demain c’est la fête de l’école, dit-elle. Et je dois justement raconter une histoire devant tous les enfants.
– Tu dois raconter une histoire aux enfants demain ?
– Oui. Tu veux bien que je te raconte, toi ?
– Oh, oui, dit la petite histoire. Cela me ferait vraiment très très plaisir.
Alors la gentille femme de ménage glissa la petite histoire dans la poche de sa blouse, pour l’emmener le lendemain à la fête de l’école.
Le lendemain, dans la cour, devant tous les enfants et leurs parents réunis, elle lut la petite histoire que personne ne voulait jamais raconter. Et plus elle avançait, plus elle attendait de petites voix s’élever des bancs où tous étaient assis :
– Mais elle n’est pas triste, cette petite histoire ! dit Enzo à sa maman
– Mais elle a des jolis dessins, cette petite histoire ! dit Léa à sa mamie, après avoir regardé les images par-dessus l’épaule de la gentille femme de ménage.
– A moi aussi, je veux qu’on la raconte mille fois ! dit Chloé à son papa qui se rendit compte qu’il ne s’en rappelait plus.
Et depuis ce jour, la petite histoire que personne ne voulait jamais raconter ne pleure plus sur l’étagère de la bibliothèque : elle n’arrête plus de voyager chez les enfants pour les aider à s’endormir.
© Christopher Selac – 2011 – Tous droits réservés
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