Nous sommes le 1er vendredi du mois, jour de Vases Communicants. Depuis un an (mois pour mois), je participe à cet événement qui consiste à échanger entre écrivains, auteurs, blogueurs, l’espace d’une journée, nos espaces deux à deux. Aujourd’hui, pour ce bel anniversaire, j’ai le très grand plaisir (et l’honneur) d’accueillir François Bon, écrivain, blogueur (Le Tiers Livre), éditeur numérique (Publie.net), et à l’initiative, avec Pierre Ménard, de cette manifestation. J’ai, de mon côté, posé chez lui une imitation de ses autobiographies des objets



Donc voici, c’est une commande, j’ai les e-mails : on ferait un livre sur les grands écrivains morts de la région Ventre.

Ce sera bien. On a des châteaux, on a des grandes figures. On a des vieilles maisons où ils ont vécu un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout. On a des coins derrière les rocades où ils sont morts pour de vrai.

On a plein de noms de rue qui portent leurs noms, c’est aussi bien que les sansonnets et les pays d’Europe dans nos lotissements autour des ronds-points.

Alors voilà, j’ai de la chance : j’ai été sélectionné pour présenter en 6 000 signes un des grands écrivains de la région Ventre. C’est pas assez pour être payé, mais c’est déjà formidable d’avoir été sélectionné. J’aurai mon nom dans le livre.

Et puis 6 000 signes c’est bien assez pour nos grands écrivains morts. Ça fait presque trois pages. Déjà qu’il y a à leur nom trois hôpitaux, un lycée, quatre auto-écoles, vingt rues.

Je n’ai pas répondu.

Deuxième mail, un rappel : non, c’était pas une petite chasse aux subventions, c’était une commande de la région Ventre. La région Ventre elle-même, qui voulait mettre à l’honneur ses écrivains morts. La région Ventre est une grande région aussi grande que tous ses écrivains à grand nom de rue.

Il y aurait des photographies. Et mon texte serait là parmi les photographies des grands écrivains morts à noms de rue de la région Ventre. J’aurai une demi-vie de vivant grâce aux grands morts, et puis on m’en demandait si peu. Puis malheureux, si tout le monde faisait comme moi et ne répondait pas, ce serait triste pour leur subvention.

Plus entendu parler. Après tout, des courriers ridicules pour des opérations ridicules à livres payés d’avance et morts avant d’être faits, ce n’était pas la première fois ni la dernière.

Et puis nouvelle version, troisième mail : je n’avais pas eu le temps d’écrire sur le grand écrivain mort, dommage mais tant pis, seulement il leur fallait aussi quelques vivants, la région Ventre ça travaillait dans le présent et c’était marqué dans la subvention, ils traverseraient une mauvaise passe sinon, ils avaient obtenu ce truc-là mais ils n’avaient peut-être pas assez pensé que ça supposait que des gens l’écrivent, leur livre. Qui j’étais et ce que je faisais et comment je travaillais, pourvu que ce soit en deux pages presque autant que la moitié d’un grand mort ce serait bien, on m’attendait.

Je n’ai pas répondu.

Et quatrième message : que si je voulais bien regarder dans mon ordinateur, que peut-être quelque part j’avais quelque chose, que ce n’était pas grave si ce n’était pas écrit spécifiquement pour la région Ventre, fallait juste que ça ait un petit lien, un nom de lieu, un petit témoignage. Ce n’était pas grave si c’était vieux, si c’était un peu perdu dans mon disque dur – il y avait assez de villes et de routes dans la région Ventre, mais c’est qu’ils avaient mis nom nom quand ils avaient demandé la subvention : il y en avait plein, des écrivains pas morts vivant dans la région Ventre des grands morts, à nous tous les demi-morts on faisait presque autant qu’un grand mort il fallait bien qu’on soit marqué dans leur livre payé par la région Ventre. Que c’était dur, pour eux, éditions truc machin, d’avoir eu leur subvention mais rien trouver à mettre dans le livre, si nous on ne leur répondait pas.

Je n’ai pas répondu.

Il n’y a pas de région Ventre. Il n’y a même pas non plus de Livre au Centre : c’est juste à cause de l’indication dans l’adresse, là-haut, du site de Christopher Selac. On perd tellement de temps à ne pas répondre à des mails inutiles, qui parfois s’empilent par quatre pour vous faire mieux soupirer – de détresse plus que d’ironie.

Les autres échanges de ce mois d’avril 2012 :

François Bonneau http://irregulier.blogspot.com/ et Jean-Christophe Cros http://www.boat-a-idee.com/
Colette Maillard http://www.annajouy.ch/ et Christophe Sanchez http://www.fut-il.net/

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