Parmi mes tourments d’écrivain – ne serait-ce pas une des raisons refoulées de mon abandon de la poésie ? -, le poème que je vous invite à découvrir ci-après, et écrit en 1997, occupe une place tout à fait particulière. Comme beaucoup d’adolescents, nous avions mes soeurs et moi, des posters tapissés sur le mur de ma chambre. J’avais choisi, à l’époque, une vue de Manhattan la nuit, prise probablement depuis Liberty Island, assez semblable à celle-ci, qui est bien plus récente…

manhattan night panorama, by _gee_

Et, un soir de mai, comme de nombreux soirs à cette époque-là, je me suis assis à mon bureau, à côté de ma fenêtre donnant sur les immeubles de la banlieue bordelaise et, à la nuit tombée,  j’ai composé ce poème.

Gratte cieux

N’est-il pas beau cet édifice
N’est-il pas beau si haut si lisse
Écrasant de son ombre grandeur
Nombre bâtisses frêles en hauteur ?

Un ne suffit, il en faut dix
Bâtis de verre ou de silice
Perçant la ville en son plein cœur
Noyant passants sous la chaleur

De la fenêtre se dominent
Toutes les lueurs citadines
Oubliant les basses ruelles
Règne d’une nuit continuelle

Moyennant cette obscurité
Puissent nos doigts les cieux toucher
Pendant qu’au pied de ce gratte cieux
D’autres se frotteront les yeux

Un jour reviendront vers la Terre
Ces bâtisses, cette matière
Dans le fracas des déceptions
De peuples en lamentations

Tours de Babel désertées
Une fois finies les journées
Laissez donc passer la Lune
Entre ces abris de fortune

Ayez au moins une pensée
Surtout sous un ciel d’été
Pour ces étoiles cachées (un peu)
Aux regards de deux amoureux

Vous comprenez mon trouble lorsque, quatre années et quelques mois plus tard, le 11 septembre 2001, les Twin Towers dont la vision nocturne m’avait inspiré furent frappées par Al-Quaïda… L’antépénultième strophe, surtout, était finalement particulièrement prémonitoire.

Mais revenons en 1997… A l’époque, je tenais une petite page personnelle sur Internet, et j’y publiais régulièrement ces poèmes, ainsi que plusieurs autres choses. Une imagination débridée et débordante verrait peut-être un lien entre cet innocent poème d’un post-adolescent exagérément romantique, et un des événements les plus marquants de ce début de XXIème siècle.  Après tout, n’est-ce pas un des thèmes favoris des romans et autres thrillers ? L’écrivain qui réalise tout d’un coup qu’un ou plusieurs crimes sont commis exactement comme il l’avait décrit dans un de ses romans. Appliqué au poète, qu’est-ce que cela pourrait bien donner ?


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