Retour – tardif – des beaux jours, et comme tous les premiers vendredis du mois , retour des Vases Communicants. Et pour cette nouvelle édition, plaisir d’accueillir Eve de Laudec, poétesse à découvrir ou à redécouvrir, pour des variations croisées autour du grand âge. Elle m’accueille sur son espace, L’emplume et l’écrié, pour « Tiens-moi la main ! ».
Vieillesse
Absurde de vieillir au printemps. S’accrocher à l’air d’un rien griffant la peau, quand renouveau, quand renaissance, quand éclosion.
Ne plus s’émerveiller des pousses nubiles, quand rameaux tortueux, quand l’envie s’englue et l’ennui s’étend, sans autre relief que celui d’un repas frugal.
Ramper au sable émouvant.
Il se tient devant la façade. Il suffirait de franchir l’un des espaces ouverts, pour se retrouver encore dehors, coté pile. Il fait doucement tiède, ici, du coté face, un bruyant murmure de vie l’entoure, oppressant, dérangeant, il suffirait d’un pas pour goûter la silencieuse cacophonie, juste passer le seuil, très passer la façade…
Rien ne sert de mourir, il faut partir avant. Détachement.
Pourtant un fil le retient, fixé à l’extrémité de sa mémoire marionnette.
Il se cale dans l’encoignure d’un vide, sans trouver la porte.
S’assoir, surseoir dans l’antichambre de l’inexorable,
Il n’espère plus ce qui n’arrive pas.
Mains nouées sur ventre sec, pour retenir le présent, il sépare ses chevrotantes et les agite à décomposer le passé, comme on détricote un pull en pelotant les jours aux poignets veineux.
Il oublie que le jour s’oppose à la nuit.
Suivre sa canne quand crépuscule, en petits pas coûteux, entre fauteuil et vaisselier, car l’habitude garde vie mieux que dialyse.
Et quand le soleil donne, au demi-matin, il s’attable pour dîner.
Le nouveau-né ne fait pas toute sa nuit ; L’ancien-né, lui, entrecoupe tout son jour de rêveries ensommeillées, dans le douillet de sa chauffeuse, en bavant doucement.
Il remonte le temps comme les bretelles de son pantalon flottant.
Ses songes effleurent son enfance avec ses agaceries, ses sourires béats, ses caprices, ses bouderies, ses vilaines colères éphémères.
La certitude se délave. Garder les couleurs des vibrations, encore un peu, que diable ! Que dieu ! Ou se vouer à tous les saints, à vous, à tu, à toi. Qui es-tu, vous? Ma fille ? Ah, je ne vous connais pas! Je n’ai pas de fille, je ne parle pas aux étrangers, ma mère patiente devant l’école…
Les murs d’une école au goût tavelé, pierres salpêtre, émoussées, moussues, dont les fissures s’exhibent sur sa peau composite, s’effritent, léguant son seul fronton.
Tu es là, maman, à battre le talon sur les pavés pour te réchauffer, tu vas souffler sur mes doigts rouges, ceux que le maître cinglait de la règle en bois, tu vas souffler sur mes pieds chiffonnés, sur mes yeux éclatés, maman…Attends-moi! Il ne faut que quelques pas pour te rejoindre…
Seul. Se découvrir seul dans ce monde étranger où les repères ont fichu le camp, fichu à carreaux dont Grand-mère nouait les pans autour de son goûter et l’accrochait sur un bâton les jours de vendanges…
Il s’endort brusquement sur cette image, tandis que le tourbillon de ses brèves pensées s’abat sur le coussin veuf du chat roux.
Papa ? Tu m’entends ?
Eve de Laudec
28 mai 2013
La liste des autres vases de ce mois :
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