Vous allez me dire : « ce n’est pas l’endroit »… et sans doute aurez-vous raison. Alors si vous voulez rebloguer le contenu de ce billet dans un espace plus approprié, n’hésitez pas. En tant que citoyen, intéressé à la gestion publique, formé dans un des creusets à élite dont la France est championne, fort d’une quinzaine d’années d’expérience au sein de la fonction publique territoriale, et un tant soit peu sensible à l’astronomie, j’avais envie d’écrire quelques mots sur ce sujet-là.

En cosmologie, le Big bang est une théorie sur l’origine de l’univers et son évolution…

highzsn

Au départ, l’univers est concentré au chaud dans un petit espace, et tout d’un coup il s’étend et se refroidit. Quelques milliards d’années plus tard, il est plus froid, occupe énormément d’espace, mais majoritairement meublé d’un vide intersidéral, et il faut beaucoup de temps et d’énergie pour en faire le tour ou en avoir une cartographie complète. Nous en découvrons tous les jours, et nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Nous ne connaissons pas encore toutes les lois qui régissent cet ensemble et la matière qui les composent. L’infiniment grand recèle autant de secrets, sinon plus, que l’infiniment petit. Comme l’exprime si bien la formule consacrée, toute ressemblance avec l’administration française serait une pure coïncidence. En aparté, il y a une théorie du management que j’aime bien aussi, dans le même genre : la loi de Parkinson.

Mais revenons à nos moutons : la comparaison au « Big Bang » pour qualifier les annonces à l’occasion du discours de politique générale de notre nouveau Premier ministre le 8 avril dernier, faisait surtout référence à l’événement, supposé brutal, qui a radicalement transformé ou engendré l’univers. En annonçant la division par deux du nombre de régions d’ici 2017, la suppression des conseils départementaux à l’horizon 2021, et l’abrogation de la clause de compétence générale (schématiquement, n’importe quelle collectivité peut s’occuper de n’importe quel domaine), c’est moins le début de l’expansion du mille-feuille territorial que le début – ou la poursuite – de sa timide contraction. Elle nous ramène donc plus du côté du Big Crunch que du Big Bang.

 

Eggplant millefeuille with walnut cream, par Cooking etc.

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L’organisation actuelle est une pyramide…

1 Etat

22 Régions

100 Départements

2145 Intercommunalités (à fiscalité propre)

Trente-six mille six-cent quatre-vingt-une communes

 

… sur laquelle les projets annoncés vont affiner la pointe, supprimer le milieu (qui ne s’occupe jamais rien moins que de l’action sociale, des routes départementales et des collèges, dont il faudra redistribuer les compétences aux niveaux supérieurs ou inférieurs), avec une base toujours aussi large. Cette dernière, si la clause de compétence générale est abrogée, ne servira plus à grand chose, l’essentiel de leurs compétences ayant été transférées, depuis plus ou moins longtemps, aux intercommunalités, créés au début des années 1990 pour améliorer l’efficacité de l’action publique… en ajoutant un niveau supplémentaire à la Pyramide.

Au pire, et en toute objectivité, les annonces ressemblent beaucoup à un mini-Crunch. L’univers territorial ne sera pas moins vaste, il sera juste plus vide au milieu. L’objectif premier – mieux administrer les territoires, donc faire des économies – de cette réforme resterait donc ambitieux. Et depuis quelques années, beaucoup se focalisent, sans doute avec raison, sur le Grand Paris et les métropoles… Mais le reste du territoire ? La sagesse populaire ne dit-elle pas « les petits ruisseaux font les grandes rivières » ? Nous préférons nous concentrer sur les grands fleuves.

L’ampleur du problème est ailleurs

D’après une étude de juillet 2012 (page 6 et suivantes), l’Union Européenne à 27 pays comptait, à fin 2011, 89149 communes. La France contribue à ce contingent à hauteur de 41,15%… Elle est, avec une constance remarquable, avant-dernière des deux classements : nombre moyen d’habitants par commune et superficie moyenne par commune, n’étant devancée pour le bonnet d’âne que la République Tchèque, et très loin de la moyenne de l’Union Européenne, et de pays comme l’Allemagne (qui pourtant semble servir de modèle pour la réforme des Régions).

Pour revenir à un niveau beaucoup plus local, je vais prendre l’exemple du département dans lequel je vis : 290 communes, 311.000 habitants environ. Les 4% les plus peuplées regroupent la moitié des habitants. La population moyenne des 29 (10%) communes les moins peuplées est de 80 habitants (et à peine 124 habitants en moyenne pour les 20% les moins peuplées). Quels services ces collectivités peuvent-elles rendre à leurs administrés, avec les compétences et les ressources qui leur restent ? Une mairie ouverte un après-midi par semaine ? Si vous avez regardé comme moi les informations nationales à la télévision pendant la campagne des municipales 2014, vous avez (re)découvert ces maires de communes rurales de quelques dizaines d’habitants qui sont élus, entre autres et heureusement pas que pour cela, pour ramasser les ordures de leurs concitoyens. Ce n’était peut-être après tout qu’un cas isolé et un excès de zèle du premier édile de cette charmante localité…

Il n’en reste pas moins que les communes et les départements datent de 1789, il y a plus d’un cinquième de millénaire donc (bientôt un quart), une époque lointaine où les gens se déplaçaient à pied ou au mieux à cheval, et qui n’avait pas même encore connu la première révolution industrielle, et a fortiori encore moins les suivantes. Aujourd’hui, 80% des ménages disposent au moins d’une voiture (INSEE, 2010), et 78% d’une connexion Internet à domicile (CREDOC, 2012). 97% des possesseurs d’ordinateurs sont connectés. Je n’oublie pas pour autant les personnes à l’écart, pour des raisons très diverses – âge, ressources, voire les deux -, de ces grandes évolutions.

Mais quitte à réformer l’organisation administrative territoriale de la France, pour améliorer le quotidien des citoyens et la qualité des services publics, quitte à faire un Big bang, puisque c’est l’intention, autant poser dès maintenant une organisation stable pour les 200 ans à venir… en phase avec la réalité sociale et technologique d’aujourd’hui, et ce que nous pouvons anticiper du demain lointain, et pas en laissant presque intacte une base deux fois centenaire.

Fusionnons communes & intercommunalités !

De toute façon, la montée en puissance des intercommunalités, et une possible abrogation de la clause de compétence générale vont faire des communes des coquilles vides, que la baisse des dotations de l’Etat (cf. les 50 milliards d’euros d’économies annoncés ces derniers jours) va priver progressivement d’une partie non négligeable de ressources. Sauf que pour ne violenter personne, ça se fait tout doucement, tout lentement, comme on laisse s’éteindre la flamme sur la bougie, plutôt que de la souffler d’un seul coup…

Plus de communes donc en tant que telles, toutes les compétences qui leur restent encore seraient reprises par les intercommunalités (si nous les appelions cités ?) , nous élirions nos représentants aux conseils des cités au suffrage universel direct, chaque commune d’aujourd’hui (arrondissement demain ?) envoyant deux représentants – un homme, une femme, parité oblige. J’entends déjà des objections sur les écarts de représentativité entre les ex-communes centres (deux élus pour beaucoup d’habitants) et des ex-communes périphériques. Les utopies sont rarement parfaites, le diable est dans les détails. A l’ONU (mauvais exemple ?), chaque pays a une voix, et elle a autant de valeur que celle du voisin. Ils sont tous égaux, indépendamment de leur puissance démographie ou économique. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour nos futures cités ?

Départements et Régions, fusionnés aussi, avec un nombre réduit de Régions ? Le mouvement est déjà en marche depuis quelques années, et c’est sans doute ce qui arrivera le plus rapidement, les dernières annonces le démontrent. Alternances politiques ou non, une certaine forme de raison l’emporte. Après, 15 régions, 12, 10…

Et des élections générales ?

La crise du politique, et l’abstention qui en découle, sont devenus le premier symptôme d’une démocratie malade. Pour remobiliser les citoyens (mais ce n’est pas une solution valable si elle est mise en oeuvre toute seule), et si nous votions tout en même temps : présidentielles, législatives, européennes, territoriales (donc régionales et intercommunales). De grandes élections générales, deux week-ends, une fois tous les cinq ans (un peu à la façon des Etats-Unis). Ce qui supposerait d’harmoniser la durée de tous les mandats (en en prolongeant certains d’une année, c’est déjà arrivé parce que le calendrier électoral n’était pas… favorable)… En 2022, ce serait presque possible, européennes mises à part ! L’entre-deux élections générales serait alors un temps retrouvé pour des référendums nationaux et locaux, donc pour la démocratie participative… Alléluia ?

Et vive les économies ! Organiser des élections coûte cher : 1 € par électeur pour la présidentielle de 2012, 128,4 M€  pour les municipales 2014 et 70,4 M€ pour les européennes du mois de mai côté Etat, auxquels s’ajoutent sans doute une partie des dépenses engagées par les communes… Tout faire en même temps ne pourrait que générer des économies d’échelle. Le vote électronique pourrait être généralisé pour l’occasion, ce qui faciliterait le dépouillement, les systèmes ayant quand même progressé et continueront à progresser d’ici 2022, et cela laisse le temps de former les citoyens qui en ressentiraient le besoin. D’ailleurs, si les gens pouvaient voter depuis n’importe quel ordinateur connecté à Internet n’importe où dans le monde, ils voteraient peut-être plus nombreux : de plus en plus déclarent leurs impôts et les payent en ligne, ça n’a plus l’air de poser de problème (sauf peut-être aux fonctionnaires du Trésor Public).

Des objections ? Une campagne électorale crée sans doute des emplois, chez les imprimeurs. Elle fait vendre des journaux, beaucoup. Et puis il y a les soirées électorales à la télévision, sur la plupart des chaînes. Mais nous sauverions peut-être la démocratie…

Un vrai statut de l’élu…

Pour que le Big Crunch soit complet, il ne faudrait pas négliger un des piliers que pourrait être le statut de l’élu (un serpent de mer). La crise du politique est aussi une crise de la représentation, nationale ou locale, avec une diversité socio-professionnelle, générationnelle,… en décalage avec la société. L’interdiction du cumul des mandats et les lois sur la parité cherchent à remédier à une partie du problème, il n’empêche : sortis des professionnels de la politique, des professions libérales, des fonctionnaires (hauts et bas), tous de préférence de plus de 50 ans, et des retraités… (exemple avec l’Assemblée Nationale de 2012, que quelques listes des municipales 2014 n’ont pas manqué d’égaler).

Donc acte… Oui, il faudrait pour rénover encore un peu plus la démocratie que les femmes, les jeunes, actifs ou chômeurs, du secteur privé, puissent eux aussi se présenter en plus grand nombre aux élections locales et nationales, et exercer leur mandat avec des dispositifs leur permettant, au terme de leur engagement citoyen, de retrouver une situation au moins équivalente à leur situation initiale. Qu’ils ne soient pas pénalisés dans leur carrière professionnelle par cette interruption, au contraire : des telles expériences ne peuvent que développer leurs compétences, donc potentiellement contribuer à leur ascension sociale. Le projet voté par le Sénat est sur les bureaux de l’Assemblée Nationale depuis le début de l’année 2013.

Tiens, en parlant du Sénat, assemblée représentant les collectivités territoriales… Il devient quoi, après le Big Crunch ? De fil en aiguille, nous risquerions de basculer vers une VIème République. Certains responsables politiques commencent déjà à dire que ce devrait être des éléments de programme pour la présidentielle 2017… Il est urgent d’attendre, encore, toujours…

Allez, je referme la parenthèse citoyenne, je ne suis qu’un écrivain, et ce blog n’est pas un espace politique, même au sens noble du terme… Je retourne à l’écriture de mon troisième roman. Que mes lectrices et mes lecteurs me pardonnent pour cette incartade. Merci d’avoir eu la patience de me lire jusqu’au bout.


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