L’œil rivé à l’œilleton, j’attends son heure, sa silhouette frêle. D’elle, un nom sur la boîte aux lettres, l’initiale d’un prénom, une effluve de parfum dans l’ascenseur, un bonjour furtif et poli lancé dans l’escalier, j’ai passé la journée à chercher ses traces, minutieusement, dans les parties communes. Dans ces endroits où se croisent les gens comme elle et moi, qui n’avons rien d’autre en commun que ces logements contigus, le palier qu’on partage, nos paillassons qui se côtoient.

Par l’œilleton, je me tiens à heure fixe, comme un animal domestique, à attendre qu’elle parte, qu’elle revienne, pour observer quelques secondes les fragments dénudés de son corps, les bras, les épaules. Et cette chute de reins qui à ce point me fascine, avec ce tatouage dont je n’ai toujours qu’un minuscule aperçu, méticuleusement enchevêtré entre la ceinture de ses jeans taille basse et la dentelle de ses strings. Plus que tout le reste, j’aimerais l’explorer tout entier de mes doigts, en retenir le parcours pour le redessiner à l’infini, les yeux fermés, sur sa peau qui n’attendrait que moi, qui ne se lasserait plus de ne s’offrir qu’à moi.

Je referme l’œilleton en soupirant, maudissant le temps qui ce soir ne m’a offert que son imperméable, maudissant le temps qui nous sépare avec plus de certitude et d’obstination que nos deux portes jumelles, en sachant qu’elle continuera à faire comme si je n’existais pas, meuble parmi les meubles. Jusqu’à ce que mon sablier lentement finisse son interminable écoulement, des rêves insensés d’une jeunesse retrouvée prendront le pas sur mes souvenirs qui s’estompent, consacrant la vigueur qui m’abandonne à désirer toucher un tatouage au bas d’un dos de jeune fille. Sur l’oreiller de mon lit fatigué, je m’obsède en pensant à elle et à lui, avec pour honteuse conviction d’avoir trouvé le bouton de mon ascenseur pour l’éternité.


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