J’accueille, pour cette édition des Vases Communicants, une nouvelle venue, Cécile Benoist, auteure tout-terrain – ainsi se présente-t-elle -, et actuellement en pleine Littérature sauvage. Nous nous sommes inspirés de nos univers respectifs pour notre échange, Cécile du jeu de piste que je vous avais proposé cet été. J’ai, de mon côté, repris son concept pour mon texte, « Un mur une main », que vous retrouverez ici.

 

 

Mobile (micro-tragédie)

 

Vagabond : mobile, immobile, tu hésites. Allez, prends ce chemin, là tout droit. Avance, ne te retourne pas. Enfonce-toi dans les marais, monte dans cette barque et disparais. Personne ne sait encore ton crime. Personne ne saura pourquoi un enfant de bonne famille est devenu meurtrier puis vagabond. Minable coquetterie du destin qui a tout fait dérailler.

 

Le drame s’est déjà joué il y a longtemps déjà. On est même dans la grotte de la tragédie, un air d’Antigone, c’est reposant la tragédie car on ne peut plus rien y faire, disait l’héroïne antique. Approchez, approchez, vous allez assister à du sordide. C’est toujours mieux chez les autres, le sordide. On sait que ça va être glauque et on aime ça. Chez les autres. À croire que ça chasse notre propre glauquitude. C’est noir, c’est gris et on y plonge, on s’y vautre, on s’y prélasse. On adore.

 

Vagabond, ta mobilité s’est déglinguée. Tu peux toujours chercher des îles pour t’y réfugier mais les mots t’ont déjà dévoré. De sales mobiles ont déclenché l’orage. Des éclairs ont déchiré les êtres dans une orgie familiale trouble. Le repas de famille a viré au cauchemar. Immobiles, ils étaient tous immobiles quand tu as dit ce que tu as dit. Les mots ont anéanti le secret.

 

Leur immobilité t’a rendu fou de rage. Mais voilà c’est fait. C’est ça la tragédie : c’est fait c’est fait. On ne la refait pas. Trop tard, pas de reboot possible, comme in the real life. What the fuck. En même temps, avec une telle baraque, fallait s’attendre à ce que ça tourne mal. Une demeure cossue de cette envergure ne peut pas rester immaculée indéfiniment, c’est quasi un appel aux calamités. Faut bien qu’ils aient leurs misères aussi les bourgeois.

 

Et toi, petit commissaire de pacotille, va le chercher cet enfant mal gâté devenu vagabond. Peut-être que tu le retrouveras, mais son mobile, tu ne le comprendras pas. Jamais. Never, s’il fallait insister.


1 commentaire

France Faure · 4 octobre 2013 à 17:02

j’aime cette écriture qui nos entraîne dans les méandres d’une histoire où tout est dit et pourtant rien n’est dit, à nous de construire le drame, avec notre vécu, avec notre imagination ! c’est fort d’arriver en une page à nous passionner, à nous intriguer, à fuir comme ce « vagabond « 

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