Qui n’est pas allé aux bords des mondes, territoire d’Isabelle Pariente-Butterlin, passe à côté d’un havre de pensées et de réflexions qu’elle entretient quotidiennement. C’est donc avec beaucoup de respect, et une sincère admiration, que je l’accueille pour ce premier vase communicant de l’année, qui prolonge à sa façon l’échange que nous avions eu, il y a dix-huit mois, autour des faits divers, de la fiction, et des horaires de marée. C’est aussi chez elle que vous retrouverez mon Palais des glaces. La liste des vases du jour est disponible ici, toujours administrée avec brio par Brigitte Célérier.

L’irréalité de la réalité

Quelle est la réalité de la réalité ?, demandait Paul Watzlawick. Quelle est-elle, cette réalité de la réalité qui nous permet de savoir, en toute certitude, que nous ne rêvons pas ? Quelle est-elle, autre que le chambranle de la porte imprimé dans notre front et assurément dépourvu de toute dimension onirique ? Où la trouve-t-on ? À quoi la décèle-t-on ? Quels indices nous avertissent très sûrement que nous sommes en face du réel ?
Cette question prend sur les réseaux sociaux, soucieux aussi, une importance extraordinaire. Comme si …
– Comme si, dans notre existence immédiate, celle à laquelle nous accédons sans le truchement de notre ordinateur, sans connexion internet, nous avions, pour nous y tenir, de telles certitudes.
– Comme si le monde immédiatement accessible n’était pas, lui aussi, très évanescent. Comme si nous ne confondions pas la réalité des choses et son reflet.
– Comme si nous savions quoi que ce soit des autres dans cette partie immédiatement accessible du monde, comme si nous étions ici en mesure de percer à jour leur mystère insondable. Comme si nous avions accès à une parcelle de leur vérité, autre que celle qu’ils acceptent de nous concéder.
Prétention radicale et absurde de notre monde. Alors que nous transportons tous avec nous une part insondable de mystère dont il ne nous est pas possible de nous défaire. Alors que nous traversons tous notre nuit intérieure pour déposer un regard sur le monde. Au travers de laquelle nous ajustons nos pupilles à celles des autres. Et réciproquement.
– Quelque chose, donc, comme la présence de l’être tout entier et intact dans ce qu’il choisit de manifester de son être. L’être manifestant son être à sa guise. De la manière qu’il choisit. Fût-ce en aussi peu de choses que 140 caractères sur un réseau social. Dérisoire et essentiel, tout à la fois. Ainsi.
Eh oui, pourquoi pas ? Pourquoi y aurait-il moins de vérité essentielle là, à cet endroit du monde, aussi absurde soit-elle, dans les quelques mots qui nous échappent, que dans la vacuité lassante du monde tel qu’il est et que nous affrontons chaque matin ?
Je me demande bien ce que nous essayons de nous faire croire à nous-mêmes. Ce que nous nous cachons.
Sinon la vacuité effrayante de ce au-dessus de quoi nous nous débattons et dans quoi internet n’est pour rien.  Je me demande quelle autre explication il pourrait en être.
Et pourtant effacement de soi et des autres. Effacement toujours possible. Et soudain notre trame usée, presque apparente. Et donc il serait possible que nous nous effacions ? Et donc, nous pourrions disparaitre ? Nous nous effacerions ?

Cela, précisément, que nous tentons d’oublier.


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