Voici un peu plus d’un mois maintenant que mon premier roman est arrivé en librairie (sur le Cher et l’Indre, pour le moment). Par la même occasion, je suis devenu publiquement “écrivain”. Le week-end, je vais de dédicace en salon, je découvre, je poursuis mon apprentissage, après la semaine au bureau où là aussi…

Il m’arrive, et il m’arrivera sans doute longtemps, d’être étonné, d’être surpris, et de partager avec vous les réflexions que cela procure. Parmi celles-ci, et c’est le sujet d’aujourd’hui, être regardé comme un écrivain est une véritable expérience, à laquelle je peine parfois encore à m’habituer, pour diverses raisons qui dépendent beaucoup du regard affronté.

Le regard fuyant

Il est plutôt le propre des clients des grandes enseignes culturelles, des librairies presse, de ces lieux de loisirs où la présence de l’écrivain, assis derrière sa table et sa pile de livres, n’est pas totalement inattendue mais pas totalement désirée. Je sens dans ce regard un peu détourné, furtif, la gêne que procure cette intrusion subie dans un espace familier, où moi, l’étranger, je risque  de détourner de son objectif premier le ou la cliente, de forcer à un achat non désiré. Le rythme cardiaque s’accélère, le pas se presse, et aux “bonjour” que j’envoie, peu ou pas de réponse, sinon étouffée.

La distance qu’instaure symboliquement la table et la posture assise face aux clients et au personnel du commerce, le mystère qui entoure le fait même d’écrire, autant de facteurs qui n’arrangent pas et n’aident pas à créer du lien. Un problème que n’ont pas peintres et sculpteurs, face à leur œuvre, debouts, comme tout le monde.

Le regard éberlué

Si j’ai choisi un montreur d’ours pour illustrer ce billet, ce n’est pas tout à fait par hasard. Pour beaucoup aussi, à l’instant où ils aperçoivent l’écrivain(e), les yeux se muent en billes rondes, et voilà qu’ils vous fixent, vous dévisagent, vous décortiquent. J’ai alors l’impression que j’aurai ma place dans un cirque, à côté du géant, du nain, du cyclope, de la femme à barbe et du mouton à deux têtes. Et Monsieur Loyal, la voix forte, qui harangue la foule des badeaux : Par ici, Messieurs Dames, venez admirer ici ces incroyables anomalies de la création… Ce regard s’accompagne de silence, le plus souvent, on ose pas s’approcher, on ne sait jamais, c’est peut-être dangereux, un écrivain. Ici, que ce soit par le haut ou par le bas, le regardant semble m’avoir extrait de l’Humanité, par le haut ou par le bas, comme si j’étais monstrueux. Quand ce sont de parfaits inconnus, pourquoi pas… Lorsque ce sont des personnes qui me côtoient de façon plus ou moins régulière depuis de nombreuses années, je me plais à penser qu’ils finiront par s’habituer. A moins qu’il n’y ait la crainte que l’écrivain ne puisse s’inspirer d’eux et de nos moments communs…

Les regards qui brillent

Heureusement, il y a les yeux qui brillent, parce que le livre, tous les livres,  les attirent, sont objets de désir, parce que pour elles et pour eux, avides de lecture et de découverte, la rencontre avec un écrivain est un moment privilégié, une chance, ou encore parce que certains me connaissent depuis longtemps et sont heureux de ce qui m’arrive. Rêveurs par procuration, sincères… Ces derniers ont parfois tendance, d’ailleurs, à me reprocher de ne leur pas avoir dit plus tôt, de ne pas avoir fait état d’une réalité qui n’existait que pour moi, tant que me proclamer écrivain sans preuve tangible, sans ce livre que l’éditeur a choisi de porter, n’aurait été que prétention et mythomanie.

Tout comme il faut gérer – et tempérer –  les excès d’enthousiasme, les exagérations de toute sorte, d’où qu’elles viennent, de ces personnes qui achètent votre livre pour vous encourager, parce que vous êtes un jeune auteur, parce que vous êtes “du coin” ou pour agir afin que “le fait d’être édité ne soit pas réservé à une élite“, ou qui vous affirment d’un air définitif que “vous faites maintenant partie du patrimoine national“.

Une question d’identité

Tous ces regards, si certains sont plus agréables que d’autres, sont indispensables. Il ne faut bannir aucune d’entre eux, pour ne pas se laisser emporter dans des excès diamétralement opposés (du délire de persécution à l’abandon de toute modestie). Relativiser, ne pas se laisser altérer par ce qui arrive, par les visions que l’on peut capter… Dans quelques dizaines d’années, ces questions autour de l’identité, de la construction de soi et du rapport aux autres, apparaîtront peut-être comme un thème majeur d’une œuvre qu’il reste à édifier. Les regards auront changé, sans doute, l’homme et l’écrivain, s’ils auront mûri l’un et l’autre, ne seront pas si éloignés de ce qu’ils sont aujourd’hui.


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