Je sais que j’ai espéré cet instant, d’y arriver, d’y être. Je l’ai idéalisé, je l’ai crû inaccessible. Et pourtant…

Quand tant d’autres se retrouvent confrontés à la réalité de ces jours et de ces voyages finalement ordinaires, marqués par un commencement et par une fin, je ne sais rien de ce qui m’attend, je ne connais pas la durée du voyage, sa destination même m’en est complètement inconnue.

J’embarque. Comme jadis d’autres explorateurs embarquaient sur les navires à l’assaut d’un océan à la finitude aussi certaine que la Terre alors était plate, à la recherche d’un autre passage vers le monde tel qu’ils le connaissaient.

A leur grande surprise, ils touchèrent des terres nouvelles, ils bouclèrent le tour d’une sphère plutôt que d’une assiette, ils changèrent la dimension du monde et leur propre dimension par la même occasion.

Dans une moindre mesure, à ma modeste échelle, c’est le même basculement. Un basculement terrible, une rupture d’équilibre, un brutal complément de soi. A quoi s’attendre ? Dans quel monde différent, étrange, vais-je prochainement être projeté ? Dans quelle existence parallèle vais-je être plongé, où je vais devenir subitement double, et où l’autre partie de moi vivra à côté de moi, en même temps que moi, en mon absence et mon silence aussi ? Où le regard des autres aura changé bien plus que je ne me serai transformé moi-même.

A l’aube d’embarquer vers cette destination inconnue, pendant quelques semaines, quelques mois encore, j’imagine quelle pourra être ma réaction lorsque, assis sur les bancs de cette même gare, dans les mêmes trains que ceux dans lesquels je prends place, je trouverai un lecteur, une lectrice, immergé dans mes livres. Oserai-je le déranger ? Me reconnaîtra-t-il ?

C’est moins l’effet de cette folle espérance qui se réalise que la multiplicité de ses conséquences qui m’affole. Il ne se passera peut-être rien : c’est même le plus probable. Il n’en arrivera même pas la moitié du quart.

Et pourtant l’intuition du sol qui s’ouvre sous mes pieds, moi qui en ai provoqué l’intense tremblement, m’assaille. Au cœur de ce voyage, dans ce grand plongeon vers une destination inconnue, je n’embarque pas seul. Au cœur de ce voyage, je ne pars pas seul : mon équipage, mon ancre, mon repère, la meilleure des assurances contre tout emportement, m’accompagnera.


0 commentaire

Ce billet vous a plu ? Laissez un commentaire !

%d blogueurs aiment cette page :