Terrées au fin fond d’un tiroir, aux confins de l’étagère la plus haute du placard le plus sombre, au creux vieilli d’un carton de déménagement dans un grenier humide, elles attendent. Cette heure où, par hasard autant que par inconscience, après des années et des années d’oubli, nous tomberons dessus et, ô surprise, immédiatement transportés dans le temps lointain de l’enfance.

Le lancinant tourbillon de la nostalgie alors nous extrait du présent. Le sens du toucher s’exacerbe, il y a de la mémoire gravée au bout de nos doigts, dans la caresse de cette peau de coton, cette douceur rêche de la fibre que nos souvenirs régénèrent. Enfance, nous voilà.

Tu n’as pas bien vieilli, mais je t’en ai fait voir, toi que j’appelais « doudou » ou « nin-nin » ou d’un prénom démonstration de mon affection.
Compagnon ou compagne imaginaire, c’est avec toi que j’ai inventé mes premières histoires, vécu mes premières aventures, c’est avec toi que je traversais mes rêves, lorsque la nuit tout n’était qu’ombre, et que je me serrais à toi autant que tu te serrais à moi. C’était toi plutôt que tout autre, apprentissage de la préférence et des inexplicables affinités.

C’est sur toi que j’ai passé mes colères, aussi, c’est sur toi que j’ai fait moult expériences, c’est sur toi que je me suis vengé parfois de ces cours d’école où tu te cachais dans mon cartable, et de ce monde de grands avec lequel l’incompréhension fut si souvent réciproque. C’est de tes mains que j’animais que tu venais sécher mes larmes, c’est dans le rembourrage de tes bras et de tes pattes que je mordais à pleines dents, c’est par les oreilles ou par les pieds que je te pendais parfois, par jeu. Tu ne disais rien, jamais, et pourtant aucun silence ne m’avait à l’époque autant parlé que les tiens.

Quand d’autres perdaient des bras, des jambes, ou d’autres éléments de leur identité, toi c’est les yeux qui souffraient le plus, il a fallu te les recoudre plusieurs fois, et pourtant tu ne m’en as jamais voulu.

La dernière fois, cela ne valait plus la peine, j’étais trop grand pour te garder à mes côtés, mais jamais assez pour me séparer complètement de toi. Car personne ne peut déposer sa peluche dans la benne à ordures. Le perdre parfois, oui, mais quel drame ! Et là où moi je te retrouve parfois, dans ce tiroir où dorment les bonnets pour l’hiver et les maillots de bain pour l’été, quelques autres gardent sous les yeux, chaque jour de l’année, la seule incarnation véritable du bonheur de la prime enfance, et compte encore sur elle pour, de temps à autre, recueillir les larmes que font jaillir encore ce monde de grands qui, pourtant, ressemble si souvent à la cour de nos petites écoles.

Ces enfants qui, sur le chemin de la maternelle, ont une jambe, un bras, une tête qui dépasse de leur cartable, je les envie parfois…


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