Novembre. Si près de la Toussaint, et ce vendredi jour des Défunts, jour des Vases Communicants également. Le thème que j’ai proposé à Anne-Charlotte, une plongée dans notre prochaine vie antérieure, résonne en ces instants. Au final, deux textes très différents, le sien accueilli ici, le mien sur son blog, En marge(s). Et une pensée, comme tous aujourd’hui, pour Maryse Hache.

Wald, par Michael Lange

En marge de l’écriture d’un court texte pour les vases communicants, quelques aventures importunes se glissent entre les lignes de l’existence.

Croiser à un tournant la mort qui guettait et sommeillait. Signe avant coureur d’un désastre naturel.

On est aisément tenté de courir sa vie à perdre haleine pour oublier son échéance. Se voir rattraper. La mort a la coquetterie de nous habituer à sa présence.

C’est se croire tout puissant que d’imaginer une prochaine vie antérieure. C’est compter sur la robustesse de l’existence humaine et supposer sa souveraineté. Je me méfie de notre orgueil.

L’image de la mort en tout instant, en tout lieu. Dans les images, récits, films, conversations. L’expression de la terreur dans les journaux. La crainte, l’angoisse devant la faiblesse du corps et la folie humaine. Vouloir tenir à tout prix. Faire reculer l’échéance.

Aussi : des grands changements à venir qui perturbent le cours d’un flux qu’on pense naïvement – ou effrontément – continu. « Chaque fois que l’individu adulte perdra une continuité acquise au cours de sa vie, il se sentira saisi par la peur de mourir et voudra s’enfermer dans une continuité de la haine de tel ou tel autre identifié comme cause de cette peur. » écrit Luc Dardenne dans un brillant petit essai Sur l’affaire humaine. [1]

*****

C’est dans cet état d’esprit qu’il faut envisager la possibilité d’une prochaine vie antérieure et de réfléchir à un autre que soi.

Il aurait été nécessaire de penser que nous eussions été capable de vivre là, de dire « je » à la place d’un autre Je, de savoir pour un autre, de penser encore, de recommencer là où la vie s’éteint, de croire en l’existence d’une antériorité et de ce fait présumer d’une continuité là où l’évidence est sensée s’incliner. L’imagination devrait être capable de cela.

Sartre et ses fichus mots. Sordide contingence. L’action seule en guise de rédemption. Persévérer en son être, avancer, encore et encore, avoir pour projet de dessiner son existence, acte après acte.

« Toute vie est insupportable puisqu’on nous la prend. »[2]

Penser à une autre vie que la sienne, c’est aussi imaginer avoir à affronter à nouveau cette question essentielle, cette angoisse fondamentale. Que faire de notre mortalité ?

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« La riposte à la mort, c’est la participation vivante, c’est l’amour.”[3]

Te choisir, toi.

Me glisser dans tes pas, suivre les concurrentes qui furent miennes, prendre le large, faire des choix, ne pas les regretter, partir à la conquête du monde à domicile ou ailleurs, ne pas pratiquer le tourisme, ne pas accorder d’importance aux bien matériels ni à l’argent, naître dans le creux d’une vallée, regarder la ville à distance, décentrer les axes, faire des fautes, des milliers de fautes, vivre un amour de neuf ans, souffrir, se reconstruire, reconstruire, souffrir, faire ma connaissance.

Comprendre tout de toi, lire dans tes silences, t’espionner sans en être suspectée.

Être un homme, coucher avec une femme, les premiers émois amoureux, jouir, pénétrer, aimer comme un homme, les caresses, croire en l’amour, ne pas en être déçu, avoir peur mais recommencer, croire en la vie, savoir la générosité, être à l’écoute, s’essayer à la justesse, ne pas trop croire en la justice ni en la démocratie, être inflexible, ne pas perdre de temps, ne pas céder, faire des choix, les assumer, avancer, être adulte, être responsable, décider, avoir conscience de ses faiblesses, les assumer, essayer encore, me rencontrer, me sauver.

Habiter les sentiments, ne plus vivre notre amour en surface. Avoir pour souvenir ma vie antérieure, notre relation passée écoutée dans une autre vie en mon corps.

Vivre à distance, ne pas avoir peur du changement, ne pas écrire ni appeler à distance, ne pas avoir besoin de parler, vivre seul, ne pas cultiver d’animosité à mon égards, ne pas en vouloir à autrui quand tu rencontres un danger ou trébuches sur un obstacle, ne pas laisser la colère grandir, avoir des projets, faire des films, ne pas trouver les mots, préférer les images, ne pas fuir l’existence, ne pas subir, ne pas voir en les circonstances des obligations, avoir le choix, assumer les possibilités, ne pas chercher d’excuses, m’apprendre la sérénité, la douceur de vivre, la paix, la simplicité.


[1] Luc Dardenne, Sur l’affaire humaine, Éditions du Seuil

[2] Didier Péron au sujet du film Amour de Michael Haneke pour Libération

[3] Edgar Morin, La violence du monde, Éditions du Félin


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